L'EQUIPE du 7 Septembre 1996.



Par Philippe BOUIN.

REVENU D'ENTRE LES MORTS

A quelques heures d'intervalles Jeudi à Flushing Meadow, deux hommes, deux entraîneurs, prononcèrent la même phrase : " Je ne trouve pas de mots pour exprimer ce que je ressens ". L'un, Tony Pickard, venait d'assister à un enterrement : le dernier match dans un tournoi du grand chelem de Stefan Edberg, battu par Ivanisevic. L'autre, Paul Annacone, avait vécu un nouveau drame au cours duquel Pete Sampras, titubant, vomissant, avait mené à bien, face à Corretja, une opération survie encore plus impréssionnante que contre Courier à Melbourne, ou Chesnokov à Moscou.

Une fois de plus, le destin du sport avait bien fait les choses : la chronique de la retraite de Stefan Edberg était repoussée au deuxième plan, là ou le suédois se sent le plus à l'aise. La résurrection de Sampras ne tolérait pas de concurrence.

Dans l'état d'épuisement ou se trouvait le numéro un mondial après plus de 4 heures de jeu, son sauvetage tint du prodige. On regrettera seulement, que l'acte final de la tragédie eut pris la forme d'une double faute, cruelle, du bravissime Alex Corretja, trahi au pire moment par l'un de ses meilleurs armes du jour, ce service qui lui avait procuré autant d'aces que Sampras (25). C' est au tie-break du cinquième set que se noua le drame. Lent depuis le début de la partie, étouffé par la lourde chaleur et par l'étreinte du jeu de Corretja, l'américain donnait l'impression d'avoir usé ses dernières forces pour revenir à deux sets partout, une fois le soleil couché. A peine entamé l'ultime tie-break, il toucha soudain le fond de ses réserves d'énergie. Titubant, il dut se retourner vers les bâches pour vomir une partie des liquides dont il avait tenté de s'hydrater.

Dés lors, contraint de s'appuyer sur sa raquette entre les points, bouche bée, yeux écarquillés, il parut au bord de l'évanouissement après chaque point. Chacun de ses pas semblait le dernier.

Si les jambes de Sampras ne semblaient plus capables de le porter, son bras lui restait dévoué. C'est ce bras étendu qui lui permit, d'une volée en extension, de sauver une balle de match. LA balle de match de Corretja à 7 points à 6. Ce bras encore qui assomma l'espagnol quand, sur le point suivant, après avoir poussé hors limite une première balle étique à 122 km/h, il décocha un ace sur deuxième service slicé à 145 km/h. Pendant que, ployé sur sa raquette en guise de canne, Sampras semblait soufflé son dernier souffle d'air, Corretja pour la première fois de la partie, sentait le doute s'infiltrer en lui. Trente secondes plus tard, l'espagnol avait commis la plus injuste des doubles fautes. Une fois de plus Sampras avait survécu à une défaillance comme aucun de ses rivaux n'en connait.