L'EQUIPE du 4 Juin 1996.



Par Jacques CARDUCCI.

LE ROI SOLEIL

Stéfan Edberg a sans doute raison quand il dit que; même s'il n'a pas encore le palmarès de certains de ses prédécesseurs, Pete Sampras est probablement le meilleur joueur de tous les temps. Plus fort, avec l'évolution du tennis, que les grands Australiens, jadis proposés pour modèles par le Dr Fisher, son premier mentor. Plus fort que Mac, que Connors, que Lendl et même que Borg, parce que plus complet.

Ce qu'a fait hier Pete Sampras pour venir à bout de Jim Courier, sorte de marine rageur lancé avec une inébranlable conviction dans la jungle de ce quart de final, est tout simplement prodigieux. On croyait qu'il avait atteint un sommet de dramaturgie, lorsque, au second tour, il avait éliminé Sergi Bruguera, champion 1993-1994, au terme de cinq sets d'enfer. Mais ce n'était rien à coté des ressources qu'il dut trouver et puiser au plus profond de lui-même pour refaire son retard de deux sets contre un Courier bloc de pugnacité, de détermination, de constance, sur ce court ou il a été deux fois couronné.

Une nouvelle fois, Pete a su tout dépasser. Sa fatigue, ses douleurs. Su tout oublier. A l'exception de son talent et d'un extraordinaire tempérament de gagneur, qui n'apparait pas toujours sous sa gueule de patre grec. Il a chancelé, il a zigzagué, il a tiré la langue. Mais il a tenu bon. Il a été laché. Mais il est revenu. Et il a escaladé en vainqueur ce deuxième col encore plus escarpé que le premier. Un moment, on eut peur que, comme Ariane le matin, il n'explose en pleine ascension. Mais la fusée Sampras est à coup sùr plus solide que la Française.

Plus tard, Jim Courier, admirable vaincu, rendit un vibrant hommage à Sampras, capable dans les pires moments, joueur en guenilles ne ressemblant plus à rien, d'être encore plus grand que grand. Il reste maintenant deux matches à Pete Sampras pour toucher au but. Etre le premier depuis Noah en 1983 à imposer, sur cette terre souvent maudite, un vrai jeu d'attaque. Mais, dans ce Roland-Garros, plus excitant qu'il ne l'a été depuis dix ans et enfin digne des autres tournois du Grand Chelem, il a déjà joué et remporté deux finales. Il a déjà prouvé sous un soleil qui convient si bien à son jeu qu'il était un champion tout terrain. Le Roi. Enfin presque. Il y eut un moment ou ce match de passion et de suspense, selon nous, bascula. Quand, au quatrième set, Sampras, mené 4-3 et 15-40, après 2 h 44' de jeu, réussit un premier ace en pleine lucarne, puis, ayant cassé une corde, un autre, avec une nouvelle raquette sur un second service plutôt foireux et sans aucun doute chanceux. En deux minutes, le combat venait de changer d'âme. Le doigt de Dieu, écrivions-nous alors sur notre carnet de notes.

Mais jamais de la vie nous n'aurions pu imaginer que Nelson Monfort, qui nous a habitués à davantage de classe et de délicatesse, allait ensuite questionner Sampras sur la protection que semble lui ménager depuis tout là-haut Tim Gullikson. Il fit bien sùr pleurer le champion. On ne savait pas qu'à la télé même le sport servait faire commerce d'émotion.